MAZOO, AUCUNE CRAINTE-INTERVIEW
Pour certains artistes plus que d’autres, les engagements et pensées développés dans leurs œuvres s’accompagnent d’une cohérence des actes posés dans la vraie vie, sans quoi les rapports les liants à leur audience reposent sur une absence d’authenticité. Mazoo est de ces artistes que le public perçoit comme indissociables des messages propagés par leur musique. Figure incontournable du rap lyonnais depuis plus de 10 ans, pionnier du mouvement Soundcloud et d’une musique trap sombre et saturée, sa musique s’inscrit depuis ses débuts dans un courant anticonformiste, prônant l’ouverture et la clarté d’esprit et le non-asservissement aux élites (quelles qu’elles soient) et à leurs dogmes. Mis à mal par les différentes restrictions liées à la crise du Covid-19 qui ont touché les concerts de plein fouet, Mazoo raréfiera ses apparitions sur scène en 2020 et 2021 et sortira plusieurs singles et deux projets, dont l’excellent Blade Runner, attendant patiemment que les choses reprennent un cours normal. Aujourd’hui de retour après une date explosive aux Archives à Bulle (Suisse) le 29 avril dernier et à l’aube de deux prochaines dates à Grenoble et à Bordeaux (le 13 et le 21 mai), le rappeur originaire de Rive-de-Gier nous parle de l’importance de la scène pour lui, de son rapport avec son public, de ses projets, de développement de soi… Et de pass sanitaire.
Tout d’abord merci pour le temps que tu nous accordes. Tu reviens d’un week-end à Bulle en Suisse pour ton premier concert depuis un bon moment. Tes impressions à chaud ? Comment se sont passées les retrouvailles avec ton public ?
Pour le coup, la Suisse a levé les restrictions sanitaires plus vite que la France, c’est presque logique que pour ton retour, tu commences par performer chez eux. Sans parler de la connexion très naturelle que tu sembles avoir avec la scène de là-bas. Le public suisse et lyonnais te semblent différents ?
En toute honnêteté, je les ai toujours trouvés différents, pour tout plein de raisons. J’ai l’impression qu’ils ont un petit peu plus d’impact sur ce qui se passe chez eux que nous n’en avons en France. C’est vrai que les mesures sanitaires ont été levées plus vite. D’ailleurs, avant ce concert, j’avais déjà pu retourner performer en Suisse. J’ai été invité par Shaim qui sortait son album, j’ai pu jouer quelques sons. Donc oui, c’était normal que je revienne là-bas pour commencer. Les différences que je peux voir, elles sont surtout dans l’aspect professionnel, avec les organisateurs, etc. Le public est sensiblement le même, quand on se regroupe autour de la musique tout le monde peut être pareil. Il y a une certaine sensibilité artistique, ce sont souvent des personnes qui parlent plusieurs langues et ont plusieurs cultures. Ça t’ouvre à une certaine perspective, ils ont une vision plus accrue que nous. Ils ont tellement confiance en leur potentiel qu’ils n’ont pas peur de faire des compliments. Ils n’ont pas peur de venir te voir et dire “C’était lourd ce soir, t’as donné du lourd”. C’est pour ça que je fais ça, je suis le premier à le faire. En France, on dirait qu’on a peur du compliment, de passer pour un opportuniste, faut avoir plus confiance en nous. Aussi, étant donné
que là-bas, l’aspect financier n’est pas un problème, t’as accès plus vite à l’aspect humain, le fait de kiffer et passer une bonne soirée. On te file ta kichta et tu performes. En France, on est plein de formalités, de conditions, d’arrangements…
Faisons un bond de 2 ans en arrière. La pandémie de Covid-19 ravage la planète, les Etats mettent toutes sortes de restrictions quant aux rassemblements de personnes et les concerts sont touchés par des interdictions puis par des restrictions. Quel était ton mood avant ça et comment a-t-il évolué sur ces deux ans ?
C’est totalement dans l’idée de tout ce que tu défends depuis le début à travers ta musique, c’est d’ailleurs pour ça que je pense que le retour ne pouvait que bien se passer. Malgré tout ça, ton public a très bien mangé pendant ces deux ans, avec Mazarollo puis Blade Runner qui contient ton plus gros succès en streaming “Scream”. Tu penses avoir gagné plus que tu n’as perdu en te sortant du circuit comme ça ?
J’ai abordé ça comme au premier jour, avec ma passion pour le rap et pour l’humain, j’essaie de rester le plus simple possible. Les gens s’identifient à la sincérité, un gars qui fait son truc avec son cœur, ses envies et ses sensations. On peut réussir sans en avoir rien à foutre du cadre habituel, des choses normales à faire. Il n’y a pas de bonne route à suivre, de bonne personne à qui parler, c’est que du développement intérieur, savoir ce que tu aimes ou non, ce que tu peux faire ou non. Je crois au talent, mais aussi au travail. Je le fais selon mes envies, avec les défauts et qualités que j’ai, je travaille sur ce que je veux travailler parce qu’il y a certains défauts que j’aime bien. J’adore arriver sur scène, avec mon énergie, sans trop de répétitions parce que je donne tout au moment venu et les gens le ressentent. Je n’ai pas de réflexion sur les choses à faire pour percer, sur les vues que je devrais avoir. Je suis exactement là où je dois être. Tout est exponentiel, le rap comme la vie, c’est une course de fond. Je ne suis pas de ceux qui se brûlent, je me contente de travailler et de kiffer mon truc, rien de plus.
Ce qui a rendu ton choix encore plus fort, c’est le fait que tu sois connu localement pour tes performances explosives en concert, c’est ce qui te démarque depuis tes débuts, en solo comme en groupe. Concrètement, qu’est-ce qui se joue selon toi pendant un concert ?
La scène, c’est un très gros facteur de réussite, c’est sous-côté en termes de performance. J’ai l’impression qu’ici les artistes abordent la scène de cette façon : ils arrivent avec leurs hits, le public est content de voir l’artiste qu’il idolâtre déjà de par ses clips et son personnage, du coup plus besoin de performer, tout est déjà là… Ce n’est pas mon game. Je respecte les gens qui arrivent à faire leur truc comme ça, mais c’est un autre job. Moi, même sans hit, je peux retourner tout le monde. On ressent l’authenticité, je mets un point d’honneur à désacraliser ce truc de l’artiste pas proche de son public. Je suis sur la scène, t’es dans le public, y’a aucune différence, on partage le même truc. C’est du ping pong, j’envoie des grandes balles énergétiques en plein cœur, le public les emmagasine et me les renvoie, etc… Je me donne à fond, je transpire, j’en saigne même des fois. Je fais en sorte de connaître mes textes et bien les rapper avec incision, je gère le rythme et c’est ça qui me démarque. En performant mes morceaux je crée des montées, j’appuie certains schémas ou phrases avec ma voix et tu finis par comprendre ma musique autrement qu’en l’écoutant uniquement sur les plateformes.
Est-ce que tu as des références en termes de performance scénique ? Ton énergie est très unique, on le sent, mais j’imagine que certains artistes t’ont forcément inspiré cette fougue, du moins au début.
On (Leanionnaire, ndlr) est arrivés un peu “à la zeub” avec notre énergie, à l’époque Soundcloud où la trap et le rock ont commencé à se mélanger, avec Suicideboys, etc. On s’est jamais enfermé dans cette case de trap metal, mais on a très vite crié sur scène, notamment So Sama. On a toujours été connectés avec les mecs de la Super Wak Clique (Slimka, Makala, Di-Meh entre autres) qui avaient aussi cette énergie scénique. Que ce soit quand ils montaient sur Lyon ou quand on allait en Suisse, ça se faisait monter sur scène et ça “turnuppait” ensemble. En vérité, à part Nouvelle Conscience, certains gars de la relève lyonnaise et l’équipe SWK, j’ai pas forcément retrouvé cette énergie ailleurs en France.zaa
Quel est aujourd’hui ton rapport avec le mouvement ? Est-ce que c’est aussi satisfaisant que ça a pu l’être à une époque, avant les restrictions, avant l’éclatement partiel de ton ancien groupe ?
J’essaie tellement de ne pas perdre l’essence qui faisait ma motivation au début, le fait de m’amuser. C’est vrai que j’ai connu des pics, pendant ces deux ans, j’ai eu beaucoup de périodes où j’écrivais moins, j’avais besoin d’énergie autour de moi, de pouvoir palper les gens et je me suis retrouvé à faire ça de plus en plus seul au fur et à mesure. Ça m’a aidé à me retrouver avec mon art et à savoir ce que je veux vraiment faire. Je ressens toujours le même plaisir à l’approche d’une scène. Quand je n’ai pas de concerts, j’ai plus de mal à me mettre dans l’élan de l’écriture, voire à me sentir à l’aise en studio parce que, souvent, mon inspiration émane de la motivation d’un concert. Pendant cette période, j’étais dans autre chose, l’introspection, la transformation, j’ai lu beaucoup de livres, je me suis posé. Mais je savais qu’il finirait par y avoir une faille et que j’allais devoir rentrer dedans pour reprendre de la motivation, et on est dans cette ère actuellement. Les concerts reprennent, mon énergie remonte, ça me motive à refaire des sons que je vais pouvoir performer. J’essaie de garder cette simplicité du début, je me fais kiffer d’abord pour mieux faire kiffer les gens après. J’ai jamais voulu réussir seul, j’ai toujours voulu donner l’énergie que j’ai, rassembler les gens et les aider à exploiter le meilleur d’eux-mêmes. Et dans la musique, je me suis retrouvé seul, à me demander si j’aimais vraiment la musique ou si c’était surtout une excuse pour vivre l’interaction, partager une énergie de groupe. Je me suis rendu compte que j’aime profondément ça et j’ai dû trouver un équilibre. Mon rapport avec le mouvement est surtout humain, j’essaie juste d’être aligné avec ce que je pense, montrer une autre voie. Je pense que ça inspire pas mal de jeunes à avoir confiance en eux et à s’en foutre du regard des autres, de se faire juger. Il ne faut pas avoir peur de prendre du temps pour soi, le travail à faire sur soi est interne et externe, quand tu arrives à expulser tout ça, c’est là que tu es gagnant.
Donc là, c’est reparti de plus belle pour les concerts, Grenoble le 13 mai, Bordeaux le 21. Scream qui approche les 2M sur Spotify… qu’est-ce que ça laisse présager au moins pour la suite de l’année ? Tu prépares des choses en ce moment ?
Dernière question, tu nous expliques le concept « Aucun signal », « Aucune soirée » ?
Ma pierre apportée à ce monde. Ma réflexion en est venue à ça, c’est ma réponse toute prête pour toute sorte de questions. Ça a l’air péjoratif, mais c’est un message d’espoir. On est une génération déconnectée de la télé et des médias, avec du recul et un esprit critique. C’est le fait d’écouter et de regarder, mais aussi d’analyser soi-même et ne pas être naïf. Être déconnecté de “leur” monde et connectés entre nous. J’ai voulu suivre le même élan pour les soirées. On a tendance à trop prendre les gens par la main, à répéter 1000 fois les choses. Quand j’aime un artiste, je suis à peu près au courant de ce qu’il fait sans qu’il ne me le rabâche, qu’il fasse une com démesurée ou qu’il me vende un mensonge. “Aucun Signal” c’est avoir assez de jugeote pour comprendre ce qu’il se passe sans qu’on me prenne la main. M’auto-suffire, rester connecté à mon prochain et me déconnecter de la bienpensance à la con qu’on essaie de nous instaurer à tous. Être en sous-terrain sans réseau le temps d’une soirée, privilégier l’instant présent qui est la seule chose réelle au final. Le reste, c’est du bullshit. Je ne voulais pas arriver avec un merch débile, il fallait que j’y extériorise une pensée, un élan. Si je peux disparaître derrière ça, sans que les gens sachent que c’est de moi, ça me va aussi. “AUCUN SIGNAL” c’est ce que la télé affiche quand elle n’est pas reliée à l’antenne, tout est parti de là. C’est un projet que je pense depuis 4 ans et que j’ai lancé avec un pote à moi, Ato (@atosasuke). C’est un artiste qui travaille à Paradis Noir, un studio lyonnais de tatouage, de couture et de création. On a élaboré un logo inspiré des runes nordiques, c’est un peu de la magie, une science du symbole connue des élites et utilisée de manière négative pour salir certaines essences spirituelles. On a assemblé des runes d’éveil, d’intelligence, de recul, de création dans un visuel qui dessine la force d’un A. Aujourd’hui, c’est lancé et je développe ça avec Ato.
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Article écrit par Johann Abessolo